L’accueil familial des adultes

Les propos retenus sont issus d’interviews réalisées entre juillet et septembre 2000 par Jean-Claude Cébula.

Mercedes CALABRESE (directrice), Philippe CARREL (infirmier), Marie DIMEY (assis- tante sociale), Marie-Geneviève DOLCEMASCOLO (famille d’accueil), Michèle PAGANON (famille d’accueil), Laurence RUAZ (infirmière) Office Médico-Social de Réadaptation – Sassenage (Isère)

Elyane BAYSSAT (infirmière), Jean-Michel BLOCH (psychiatre), Jean-Noël FERAUD (famille d’accueil), Louis et Gisèle GINER (famille d’accueil), Philippe GONZALEZ (infirmier), Bernard GUITER (psychologue) Centre Hospitalier – Psychiatrie Adultes – Béziers (Hérault)

Michelle BILLY (famille d’accueil), Monique BOURDAUD (famille d’accueil), Loïc HAMON (délégué à la tutelle), Marie-Edith PERRUSSEL (déléguée à la tutelle), Marie-Paule QUEFFELEC (déléguée à la tutelle) ARDAS – Rennes (Ille-et-Vilaine)

Loïc BESSON, Frédéric SALICIO – UDAF – Angoulême (Charente) Thierry GRAVELLE (infirmier) – Conseil Général de la Charente Isabelle GOYER (famille d’accueil) – Charente

Dounia BENMESBAH (famille d’accueil), Jean-Pascal BENUREAU (psychiatre), Anne DUCAY (famille d’accueil), Laurence LEPAGE (infirmière) CHS Paul Guiraud – Villejuif (Val-de-Marne)

Julien BETBEZE (psychiatre), Emmanuel DE CACQUERAY (psychologue) SAFT Contadour – Nantes (Loire-Atlantique)

Christophe DRONNEAU (éducateur), Philippe RONGERE (directeur) CHRS L’Etape – Nantes (Loire-Atlantique)

ont contribué indirectement à l’élaboration de ce texte.

Ces professionnels, intervenants et familles d’accueil, ont accepté de participer à une réflexion sur l’accueil familial, réflexion qui a servi de support aux journées d’étude organisées par l’IFREP, à Paris les 23 et 24 novembre 2000, et qui avait pour objet de poser les jalons d’une démarche nécessaire conduisant de l’accueil au soin.

Chacun des interviewés utilise une terminologie propre au champ dans lequel il intervient, accueil familial social des personnes âgées ou des personnes handicapées, accueil familial thé- rapeutique de malades mentaux, ou encore famille d’accueil pour des sortants de prison… On retrouve donc les expressions “ famille d’origine ” et “ famille naturelle ” pour parler des parents des personnes accueillies qui sont, elles-mêmes, désignées sous les termes de “ patient ”, “ personne âgée ”, “ personne handicapée ”.

Le passage de l’oral à l’écrit a nécessité des aménagements afin d’obtenir un texte lisible et un tant soit peu cohérent. De plus ont été retenus les propos les plus explicites articulés les uns aux autres afin de traduire autant le cheminement de la pensée individuelle que celui de l’éla- boration collective.

Deux questionnements complémentaires ont été travaillés :

  •  » Pourquoi l’accueil familial ?  » porte sur les raisons pour lesquelles on pense à orienter des populations en difficulté vers l’accueil familial ;
  •  » des théories du changement ?  » s’intéresse aux hypothèses qui expliquent pour chacun la pertinence de l’accueil familial et l’évolution des personnes accueillies.

1. Pourquoi l’accueil familial ?

Les premiers arguments évoqués sur ce thème sont connus, anciens, insistants, persistants, par- fois discutables. Ils se rapportent au coût (c’est plus économique), au manque de place en institution, à la fin de l’hospitalisation et à la recherche d’une solution moins lourde, à une autonomie insuffisante de personnes qui n’ont plus leur place en institution, à l’offre d’un lieu d’hébergement… Ces propositions présentent les familles d’accueil comme une solution par défaut, faute de trouver autre chose, ou faute de pouvoir vivre autrement que dans un milieu protégé. Cependant, dès lors que l’on approfondit la réflexion, émergent des arguments plus concordants avec ce que des familles d’accueil peuvent apporter à des populations en errance psy- chique et/ou sociale. Ces propos ont été rassemblés dans des rubriques qui ne sont pas toujours exclusives les unes des autres tant les circonstances et leur analyse sont entremêlées.

Parce qu’il manque des places dans les institutions

  • Pour aller en maison de retraite, en général, il y a quelques mois d’attente. C’est vrai que l’accueil familial est une solution intermédiaire entre l’hôpital et les longs séjours ou autres.
  • Il y a des personnes qui attendent une place en centre d’aide par le travail et que l’on a mises en famille d’accueil.
  • Pour les personnes âgées, c’est aussi un manque de place mais il y a forcément un turn over plus important dans les institutions du fait de leur âge.

Parce que le monde a changé

Il faut reculer un peu dans l’histoire. Avant on avait une prise en charge de type de voisinage ou familial. Maintenant, ça devient de plus en plus difficile, impossible, voire ça n’existe plus du tout pour différentes raisons que tout le monde connaît bien. Donc l’accueil familial peut permettre à une personne âgée de rester dans un réseau familial, même s’il est artificiel, et d’y trouver davantage son compte.

Parce que l’institution n’est pas ou plus adaptée

  • Certaines familles pensent que l’accueil familial est moins cher que la maison de retraite.
    Sans forcément prendre en compte le confort de la personne, elles parlent d’abord de la question porte monnaie. Et puis, il y a les gens qui ne supportent pas l’institution, qui ont une aversion pour l’institution.
  • La plupart des personnes adressées par des services de psychiatrie sont des patients dits psychotiques chroniques. L’idée principale, c’est essayer autre chose : à la fois les faire sortir de
    l’hôpital, parce qu’on peut penser que vivre à l’hôpital n’est pas l’idéal, et proposer autre chose avec une structure qui leur permet de progresser, de s’autonomiser.
  • C’est une réponse lorsque la vie collective en établissement ne convient plus à la personne, alors que l’accueil familial est une prise en charge individualisée.

Parce que l’autonomie est insuffisante

  • Il y a aussi la pénurie de solutions qui est peut-être plus prégnante pour les adultes handicapés parce qu’effectivement, quand ils sont stabilisés sur le plan psychologique mais n’ont pas un équilibre suffisant pour s’installer dans un appartement ou pour une vie plus autonome, à quoi pense-t-on ? A l’accueil familial, faute d’avoir d’autres structures pour répondre à ce genre de problèmes.
  • Si on s’adresse à des familles d’accueil, c’est qu’il y a un manque de places en hébergement. De plus, le centre hospitalier spécialisé essaie de faire sortir des malades qui ne sont pas capables de vivre seuls à leur domicile, alors c’est soit l’institution, soit l’accueil familial.
  • L’accueil familial s’adresse à des patients adultes malades mentaux qui ne relèvent plus d’une hospitalisation, qui n’ont plus besoin sur le plan médical d’être hospitalisés, mais qui ne sont pas aptes à vivre seuls que ce soit dans un logement ou sur le plan du travail, qui n’ont pas l’autonomie sociale et professionnelle de se débrouiller, et qui n’ont pas à être en institution ou qui ont déjà vécu en institution et pour lesquels on propose un milieu protégé.
  • Pour les personnes âgées, la cellule familiale est plus chaleureuse qu’une maison de retraite aussi dynamique soit-elle et avec toute la volonté que des professionnels peuvent essayer d’y
    mettre. C’est vrai que la vie en famille correspond davantage à ce que peut attendre une personne âgée quand elle n’est plus capable de vivre à domicile.
  • En fait l’accueil familial répond à plusieurs besoins : en prolongation d’un accueil d’enfant qui a grandi dans sa famille d’accueil et qui n’est pas capable de vivre en autonomie ; à l’hébergement d’ouvriers agricoles par des employeurs lorsque les ouvriers ne sont pas en mesure de se prendre en charge au niveau alimentaire, hygiène, alcool ; en relais des familles naturelles vieillissantes ou qui ont disparu ou sont incapables d’assumer le handicap de leur enfant ; à des personnes qui ont des incapacités à vivre seules, qui n’ont pas d’autonomie sur le plan santé, hygiène, alimentaire, déplacement.

Parce qu’il s’agit d’une prise en charge individualisée

  • On avait le sentiment qu’il fallait installer une période sas entre un régime de soumission en détention et un autre appareillage médico-social utilisé habituellement. Le réseau des familles d’accueil permet de mettre en place des rapports individuels, un traitement individuel, une prise en charge individuelle alors que les personnes étaient dans un traitement collectif. Là, ils redeviennent quelqu’un avec nom, prénom, attention particulière.
  • L’accueil familial est une réponse personnalisée à des besoins particuliers. L’aspect négatif est que, parce que rien d’autre n’a pu être mis en œuvre et n’a pu répondre, on va solliciter l’accueil familial. En fait, avec un autre regard, l’accueil familial peut répondre de façon pertinente à certaines demandes, certains besoins. Chaque projet est unique, ce qui limite les possibilités de travailler avec les familles parce que chaque famille a ses richesses et ses limites.
  • Il y a le mot famille, ce côté où on s’occupe plus de la personne dans l’unité. C’est ce qui est recherché.

Pour un environnement relationnel privilégié…

  • Pour certains patients, pour qui l’hôpital finit par avoir des effets pervers, aliénants, au long cours, et parce que les autres solutions envisagées ne sont pas adaptées, et parce que ce sont des patients qui ont besoin de la présence permanente d’un autre qui ne soit pas forcément un soignant. Le fait qu’il ne soit pas forcément soignant a des effets différents de ce que l’on peut observer avec des patients qui restent dans un cadre strictement thérapeutique. Ce qui se passe
    dans la famille, c’est-à-dire les contacts sociaux que peut avoir une famille, le fait que ça vive, bouge, qu’il y ait des échanges avec d’autres membres de la famille, c’est ça qui est recherché.
  • A un niveau qui prend en compte la personne à placer, c’est la recherche d’une solution conviviale de petite dimension où la personne va bénéficier d’une relation privilégiée.
  • Des personnes ont des problèmes pour s’assumer elles-mêmes, seules. Elles sont obligées d’être entourées. C’est le cas de la jeune femme que j’ai à la maison, c’est retrouver le milieu
    familial, le cadre de vie qu’elle n’aurait pas dans un établissement. Le milieu familial, on le vit au quotidien.
  • Une vie en famille, c’est une vie normale. Ils ont des relations avec l’extérieur qu’ils ne vont pas avoir en institution qui est un milieu plus fermé. L’accueil familial va leur permettre d’avoir la vie de tout un chacun et des relations plus importantes et plus variées.

Pour se construire, s’insérer…

  • Pour survivre en détention, certains organisent des défenses qui n’ont pas lieu d’être une fois dehors. Une fragilité resurgit alors. L’accueil en famille permet d’étayer dans la souplesse, permet des allers et retours dans une confrontation avec l’extérieur et cet endroit que l’on dit de repos, de ressourcement. Dans ces allers et retours, la personne va pouvoir se construire.
  • On est interpellé par des collègues qui ont en charge des Rmistes ou des gens qui sont en insertion. Ils cherchent un lieu ’hébergement. La personne n’a pas toute sa capacité dans la
    vie quotidienne, à faire ses courses, se faire à manger et surtout ne pas s’alcooliser, rentrer tous les soirs chez elle, laver son linge… Elle sait pas faire… La famille d’accueil pourrait être une alternative, mais on ne peut pas répondre car ces personnes n’ont pas le statut d’adultes handicapés. On arrive à des paradoxes car, pour réaliser un projet d’insertion, on doit les inscrire dans une démarche de handicap afin qu’ils puissent profiter de cette prise en charge particulière qu’est l’accueil familial mais qui pourrait leur permettre une insertion professionnelle et sociale dès lors qu’ils se trouvent intégrés dans un environnement.
  • L’objectif, c’est d’essayer qu’ils retrouvent un certain équilibre afin d’évoluer dans la vie de la façon la plus normale possible, qui leur permette d’être bien dans leur peau.
  • C’est se retrouver avec des gens normaux après un temps où ils ne se retrouvaient qu’avec des gardiens, des infirmiers, des gens repérés professionnellement. Là, ils se retrouvent avec des gens sans étiquette. Pour eux, c’est la possibilité de mesurer leur rêve à la réalité. Quand on rencontre les personnes en détention, soit elles vivent le temps présent et ne veulent pas se projeter pour survivre, soit elles rêvent. Parfois on sent que ces projets imaginaires les tiennent, les tirent vers le haut. Mais en même temps, on sent bien que ce sont des rêves qui ne sont pas en lien avec la réalité, que ça ne pourra jamais se mettre en place de cette façon. Lors d’un
    accueil, ils reprennent vie, contact avec une certaine réalité. Ceci permet de retravailler la distance entre rêve et réalité, de faire des choses plus terre à terre, d’avoir un projet plus adapté.

Pour la sécurité, la permanence, l’amour…

  • En famille d’accueil, le patient va avoir un espace, sa chambre, ses meubles…Il est chez lui, et on ne va pas du jour au lendemain lui dire “tu changes de chambre”. A l’hôpital, il y a un anonymat où on peut tout le temps changer de pièce, donc il y a une dimension tout à fait cahotique et il est impossible de construire quelque chose de solide. Tandis que là, il y a un espace qui lui est propre. Dans ce sens là, il y a un respect de cet espace, une sécurité à travers cette chambre. Ca paraît important cette notion de sécurité, d’espace propre en lien avec le réseau.
    Il est dans un réseau, et en même temps il a un espace qui lui est propre.
  • L’accueil familial est une prise en charge particulière qui apporte sécurité, cadre affectif. C’est un accompagnement de la personne d’une manière particulière. C’est aussi un partage de valeurs, activités, loisirs qui demande disponibilité de la personne qui accueille.
  • C’est aussi le côté de la stabilité qu’ils peuvent retrouver dans une famille. Le nombre de personnes autour d’eux est réduit. Dans un service, il y a plusieurs patients et des équipes médicales qui ne favorisent pas les repères.
  • C’est un peu d’amour, il faut les entourer pour qu’ils soient mieux, ils font des choses qu’ils ne font pas au centre. Ici, c’est comme si c’était chez eux, ils ont une vie familiale, ils m’aident, on leur donne des responsabilités.
  • La famille apparaît comme une cellule assez souple qui va permettre à la fois d’assurer une certaine protection aux personnes, donc un cadre différent de ce qui se passe en détention. Il
    n’y a pas de règlement intérieur dans la famille alors qu’on retrouve ça dans des institutions. Dans la famille, c’est implicite, il y a des règles de fonctionnement, des rythme à respecter, c’est quelque chose de porteur que l’on ne retrouve pas ailleurs.

Pour les notions de famille, d’images parentales…

  • Des images parentales pour un adulte handicapé, c’est important. Ca vient offrir une structure naturellement admise : un papa, une maman… C’est quelque chose qui renvoie à des images
    admises par tout le monde.
  • La famille d’accueil, c’est une structure institutionnelle minimale avec des repères beaucoup plus précis que dans une institution spécialisée, hospitalière ou non, où les repères sont diffusés, dispatchés entre de nombreux intervenants. La famille d’accueil, ça permet de resituer des repères familiaux, l’homme, la femme, les enfants et puis tout ce que cette famille peut faire exister autour d’elle, un repère par le voisinage, par la famille étendue. Tout ça contribue à situer la personne accueillie dans un réseau.
  • La famille, c’est un espace qui est porteur d’une mise en scène de figures symboliques, on aborde le père, on aborde la mère, ça rappelle des éléments du passé qui vont se rejouer et ça
    va être intéressant. La famille d’accueil ne va jamais se substituer aux parents. Donc, déjà une distance se créé, même si les personnes qu’on rencontre généralement imaginent la famille en fonction de ce qu’elles ont vécu avant de l’avoir rencontrée.

Un espace de soins, de traitement qui n’est pas sans effet…

  • On reçoit des demandes où on a l’impression d’arriver en bout de course, où tout a été tenté et il ne reste que l’accueil familial. On essaye parce qu’il n’y a plus rien d’autre, mais on n’y croit pas et puis souvent on est étonné des résultats. On est étonné de ce qui peut se passer pour la personne, on se rend compte que ça a un effet thérapeutique sur la personne…
  • La famille d’accueil devient, au delà d’un mode d’hébergement, un autre partenaire. Pour les travailleurs sociaux, c’est un outil supplémentaire et peut-être une ouverture supplémentaire pour la prise en charge d’un adulte handicapé.
  • Il s’agit pas de pousser les pensionnaires du côté de l’autonomie, puisque dans la psychose ce serait les mettre en difficulté. Cependant, il y a quelque chose que nous avons à construire
    avec eux pour soutenir toutes les suppléances relationnelles qu’ils peuvent mettre en place, pour soutenir leur existence.
  • Trois points sont importants : une orientation en vue d’une psychothérapie quand elle se relevait délicate sur un mode duel et qu’il fallait dissoudre le transfert du psychotique sur une
    constellation familiale. C’est un point fondamental à condition que ceci soit récupéré par un psychothérapeute extérieur à l’accueil familial qui puisse re-métaboliser les données avec le patient. Le deuxième point, c’est que nous attendons de l’accueil familial que des apprentissages non acquis ou perdus par des séjours plus ou moins longs en institution puissent être retrouvés, non pas sur un modèle behavioriste mais sur un modèle d’identification à l’autre.
    Pour faciliter ces deux points, l’accueil nous semble un espace intermédiaire éloquent entre structure pavillonnaire et famille d’accueil, et entre famille d’accueil et monde social élargi ou
    protégé.
  • C’est un espace particulier et singulier qui étonne quand on en parle aux détenus. Quand on leur présente des familles qui se proposent de les accueillir, ça créé de l’étonnement, et c’est un élément important au niveau de la prise en charge par rapport à ce qu’ils ont connu, aux prises en charge institutionnelles qu’ils ont épuisées. Pour eux, c’est une inconnue qui va favoriser une projection dans un avenir différent. C’est vrai que l’espace affectif est très représenté dans la famille. Et c’est quelque chose d’important. Ce sont des gens qui, en détention, sont hors de ce champ là, donc des gens qui ne sont plus mis en position de choisir, d’échanger avec
    les autres, ce sont des gens pour qui on décide de tout.
  • On voit des personnes qui arrivent à se stabiliser en famille d’accueil. Je pense à quelqu’un qui avait essayé de vivre en appartement, qui n’a jamais pu, puis qui a été d’institution en institution et aujourd’hui, ça fait 10 ans qu’il vit en famille d’accueil avec des hauts et des bas, mais la famille a su l’accepter tel qu’il est et lui permettre de se poser. Ca démontre aux institutions leur limite. Parfois, les familles d’accueil réussissent où les institutions n’ont pas réussi avec leur moyen.

2. Des théories du changement ?

De l’affection à la force symbolique du désir…

  • Pour certains accueillis, les personnes qui composent la famille d’accueil sont les premières personnes qui leur portent attention, intérêt. A partir du moment où on leur porte intérêt, ils ont envie de répondre positivement et il se passe des choses.
  • Cette vie quotidienne qu’on lui a apportée a été un élément important. Ce qui a été capital également, c’est l’aspect affectif. Tout le monde a besoin de se sentir aimé et avec les personnes que l’on nous confie, dès qu’on leur porte affection, des liens se créent et c’est nécessaire pour leur équilibre… Cet aspect affectif est un élément important. Parfois, d’ailleurs, face à ça, on a du mal à répondre.
  • Je lui ai fait confiance, je l’ai stimulé, il s’est habitué à notre façon de vivre. Je ne l’ai pas considéré comme quelqu’un de malade, il avait besoin d’être aidé, c’était flagrant chez lui.
    Donc, c’est la confiance, l’affection ; on agit avec eux comme avec nos enfants…
  • Ca restaure une position de personne qui peut être atténuée dans un service de gériatrie par exemple. En famille, c’est une approche d’une personne vers une autre personne.
  • Un adulte handicapé finit par ne plus être une personne, mais un cas de la médecine, de la psychiatrie. En famille d’accueil, c’est une personne qui s’adresse à une personne, l’accueilli, et quelque part c’est lui offrir une grande confiance et restaurer la confiance qu’il a en lui. On croit en lui si on s’adresse à lui en tant que personne.
  • Une idée que j’ai envie d’ajouter, c’est le désir des familles : il y a certaines familles qui ont vraiment envie, qui ont ce désir d’entrer en relation avec le patient, qui ont envie d’avoir des échanges, qui ont envie d’avoir un contact et non pas seulement de l’héberger. C’est vraiment le centre du processus thérapeutique. Dans les familles où il y a désir d’échanger, avec lesquelles on peut être en relation, à partir de ce moment, il y a quelque chose qui se passe. Notre rôle, lorsqu’on sélectionne les familles d’accueil, c’est d’essayer de sentir ce désir d’entrer en contact, de faire une place à l’autre, d’être disponible pour ça.
  • Ce qui permet aussi cette pacification du patient, c’est peut-être que la famille, même si elle est portée à attendre beaucoup du patient, a vouloir beaucoup du changement, qu’il aille mieux,
    qu’il apprenne, qu’il fasse des choses, qu’il sorte, qu’il s’habille tout seul, qu’il se lave, ne demande pas trop au patient, et qu’on ne veuille pas trop de lui. Ca fait tomber la persécution, ça permet la sédation de l’angoisse et une marche en avant à petit pas.
    Des théories du monde rassurantes à la reprise du jeu social
  • Elle aime qu’on s’occupe d’elle, mais à certains moments il ne faut pas toujours être sur elle. Il faut savoir lui dicter ce qu’on lui commande, il faut savoir lui dire, la façon de lui dire, lui dire si tu as le temps tu le fais…
  • Des familles d’accueil qui disent souvent “c’est à cause de la lune”, et c’est normal, ça rassure. Il y a quelque chose qui se joue de la réassurance des choses simples et l’explication c’est la famille qui la donne, ou c’est le changement de lune ou le temps est orageux. Des explications que les familles d’accueil donnent et que les patients prennent.
  • L’accueil familial me semble un soin parce qu’il n’y a pas ce phénomène de sur-attention ou d’inattention, mais de parité. Il y a un pair qui est là et j’y suis vigilant comme à un membre de ma famille. Il n’y a pas le microscope mono ou binoculaire de l’espace asilaire. Il n’y a pas l’indigence du regard du social élargi, il y a une juste attention. Ca me semble quelque chose de l’ordre de la spécificité de ce soin qui ne se veut pas soin donc qui est soin…
  • La famille d’accueil ne regarde pas du même œil que les soignants les symptômes présentés. Ils peuvent accepter certains délires des patients sans dire “tais toi » ou doubler les médicaments pour arrêter le délire. De l’acceptation de sa particularité, de l’étrangeté du discours, sans que ce soit réprimé par un effet chimiothérapique.
  • Il me semble que l’enveloppe de tout ça quant au délire et au symptôme, c’est qu’on a une position tranchée théoriquement : ils sont adressés à l’autre, et que donc en changeant d’interlocuteur, on va changer de symptomatologie ou de teneur délirante ou qu’il va y avoir itération mais qu’on va pouvoir la prendre à chaud. Il y a effet de créativité dans la famille d’accueil qui me semble le point capital.
  • On re-sollicite le patient par rapport à ses phénomènes psychiques, on lui demande de reprendre en compte ce qui se passe dans son psychisme. Il y a une attention au psychisme du
    patient qui paraît un facteur minimal de soin. C’est la fabrication d’une autre scène dans laquelle il va y avoir mobilisation psychique.
  • On s’aperçoit après coup d’une force symbolique pour ces personnes qui sortent de détention, force symbolique qui a beaucoup de poids : c’est qu’il y a des familles bénévoles militantes qui acceptent d’accueillir des sortants de détention sans les connaître. Ca signifie très clairement aux détenus qu’il y a reprise du jeu social possible, parce qu’il y a une famille insérée qui
    accepte de les recevoir. C’est un bénéfice tout au long de la prise en charge qu’on constate régulièrement et qu’on avait pas forcément envisagé au début.

Repères, règles, identification…

  • Ce qui structure, c’est le temps, la succession de moments dans la journée qui se succèdent dans une famille d’accueil. Chaque famille a son propre fonctionnement, chaque fonctionnement structure la famille d’accueil et les patients accueillis. Mais ce qui structure aussi le patient dans l’accueil familial, c’est la structure de l’accueil familial lui-même, c’est-à-dire la structure de la famille d’accueil et la manière dont elle est structurée en relation avec le fonctionnement de l’équipe, le médecin, l’hôpital.
  • Les règles de la famille d’accueil ne sont pas réductrices. C’est un réseau et c’est vrai que les accueillis ont vraiment besoin de cadre et des limites. Ce n’est pas dans un sens négatif, au contraire, c’est rassurant, restructurant.
  • Il y a une enveloppe globale qui est la juste distance. Ce qu’attend un patient, c’est la juste distance, qu’il n’y ait pas une omni absence, qu’il n’y ait pas une omni présence, qu’il ne soit ni gavé ni carencé. Ils sont boulimiques mais ils se rendent compte que finalement ils ne sont pas que cela quand d’autres viennent à les gaver. On a un cas d’une famille qui, pour empêcher de parler, donnait à manger. On était plus dans la convivialité christique mais dans l’enfant comme bouche-trou de la jouissance. Les capacités de symbolisation me semblent très nettement améliorés par l’accueil familial. Quand il vient à se clore, souvent les patients nous interpellent sur le devenir des familles, ceci concernant parfois des patients pour qui l’autre, quand il n’est pas là, n’existe pas. Donc, il y a une restauration de l’autre dans l’absence qui atteste d’un processus de symbolisation que je ne saurais expliquer.
  • Il y a des processus identificatoires qui sont à l’œuvre en accueil familial, et qui font que le patient peut s’identifier à l’accueillante, parfois en en prenant l’aspect, parfois en en prenant le contre pied. Ils épousent au fond un peu la famille. Il y a un “ petit autre ” avec eux, auquel ils peuvent s’identifier et ce n’est plus l’hôpital, ce n’est pas non plus un soignant, c’est un autre qui vit, ce qui permet de faire comme lui.

Réinscription dans son histoire

  • Dans la famille d’accueil, le patient redevient un conteur au sens où il raconte des contes, il n’est plus là comme objet d’un ensilage sémiologique. En conséquence, il peut s’historiciser en rentrant dans la grande histoire de la famille avec sa petite histoire, ce que le consensus social a tendance à rejeter. Il n’y a plus d’objet historique, on est dans la civilisation du jetable et la famille semble justement garantir d’une généalogie, d’une historicité dans laquelle le
    patient peut loger la sienne et redevenir conteur.
  • Là où l’individu est pris dans son individualité propre, dans son authenticité, il se réapproprie sa propre histoire, l’histoire de ses origines et c’est extrêmement mobilisateur pour se reconstruire.
  • Ce n’est pas anodin de placer un adulte dans une famille, un adulte qui a eu une histoire familiale, qui a eu des parents qui ont été ce qu’ils ont été, mais qui a eu une histoire parentale, des modèles parentaux. Cela le renvoie forcément à sa propre histoire. C’est pareil pour la famille d’accueil, et il y a certainement une alchimie qui se fait. Le patient trouve quand même un équilibre dans ce que lui renvoie la famille, au niveau de sa propre histoire, au niveau d’un père et d’une mère. Quoique qu’il en soit, ce qui est bénéfique pour le patient l’est quelque part pour la famille d’accueil sinon elle ne continuerait pas cette activité. C’est donc qu’elle y trouve quelque chose qui lui correspond.
  • L’accueil vient nourrir des personnes qui n’ont pas eu à partager les événements familiaux de façon sereine. Il y a là quelque chose qui va permettre à la personne accueillie de s’enraciner, de s’accrocher à une histoire familiale. Cette histoire familiale est importante pour des personnes qui ne l’ont pas connue, qui en ont été exclues…
  • On met les personnes accueillies dans des difficultés importantes car l’accueil en famille, c’est une mise en scène de son histoire, c’est une représentation de soi qu’on rejoue avec des
    gens qu’on ne connaît pas, avec des stigmates très intégrés autour de la culpabilité, de la détention, des crimes ou des délits commis… c’est certainement très compliqué à gérer dans les premiers jours de l’accueil.
  • Il y a un travail important au niveau de la famille naturelle, quand elle est là et qu’on la connaît parce que c’est pas facile à vivre pour elle que son enfant (même s’il est adulte, il reste son enfant) soit placé dans une autre famille qui va réussir là où elle a échoué. Au niveau des relations, ce n’est pas toujours simple et on travaille avec les familles naturelles dans la déculpabilisation, dans la réassurance.
  • Les comptes qu’il a à régler avec sa famille naturelle, ça lui appartient, mais ça permet de relativiser, de recommencer un petit peu son histoire. On s’aperçoit au fil du temps que, malgré les coups qu’il y a eu, il y a des choses qui se passent, la personne se sent de plus en plus à l’aise avec tout ça et ça participe à son mieux être également. Le climat au sein de la famille d’accueil est beaucoup plus serein.
  • Un des éléments des effets curatifs en famille d’accueil, c’est que le patient n’a pas à protéger sa famille d’origine d’une étiquette pathologique comme il aurait à le faire face à un psychiatre ou un psychologue. En conséquence, il peut y aller tout de go sur ce qu’il éprouve vis à vis de sa famille, ça me semble une parole naturelle qui a des effets extrêmement salutaires.
  • Cette dimension de la haine non destructrice que les kleiniens pourraient lire du côté de phénomènes de réparation par ce qui est donné, c’est vraiment ce qui se met en jeu. La restauration de l’image de soi passe par la restauration de l’image de la famille d’origine à travers l’agression sur la famille d’accueil. Cette situation crisique se passe toujours en un moment donné, et la façon dont ça va pouvoir se résoudre, se mettre en mots et être élaboré, renvoyé par la famille d’accueil mais aussi par les autres intervenants, est un des effets principal…

De la rencontre et des effets de transfert, du tiers et de la symbolisation

  • Ces patients, qui avaient connu autrefois d’autres thérapeutiques, se présentent à l’accueil familial en évoquant l’autre thérapeutique comme une relation duelle où l’autre en face était pour eux contradictoire, pour nous ambivalent. Dans la famille d’accueil, au lieu d’avoir ce côté contradictoire logé dans une même personne, il y a des individus en contradiction, et en conséquence il y a possibilité de choix. Cela ouvre un choix phénoménal…
  • Il y a pour chaque patient un effet de rencontre qui est nécessaire à l’accueil. Ces effets sont aussi des effets de transfert que le patient peut avoir avec tel ou tel membre de la famille et qu’il faut analyser. C’est ça aussi qui permet que l’accueil puisse se faire ou pas.
  • La famille d’accueil anticipe un futur accueilli, et entre ce qu’elle imagine et la réalité, il y a souvent un fossé assez important. Il y a des périodes de désillusion, un investissement très important de la famille d’accueil qui ne comprend pas que tout l’amour qu’elle puisse donner ne suffise pas. D’où l’intérêt de réajuster souvent. Il y a autant de travail avec la famille d’accueil qu’avec le patient et l’intérêt est de pouvoir parler des difficultés, de dialoguer et de réajuster à chaque fois.
  • Ce que j’observe, c’est une bipolarité des familles, c’est-à-dire que, face au manque supposé chez l’accueilli, il va y avoir un mécanisme de coalition de la famille d’accueil avec l’accueilli. Ou alors, quand il y a appréhension d’une certaine ressemblance, arrive la haine du semblable et les phénomènes de rejet. La position de tiercéité de l’équipe vient faire emboîtement de contenant et restaurer une triangulation salutaire. En même temps, cette tiercéité montre l’an- ti-nature de l’accueil.
  • Dans le cadre thérapeutique proposé, le travail de triangulation et de reprise de paroles en différé sur des vécus participe du processus de symbolisation.
  • L’accueil donne une place plus importante au patient justement parce qu’il y a une constellation autour de lui et les pouvoirs se dispersent ou se fragmentent. C’est pour cela qu’il peut un peu plus reprendre sa place et un peu plus créer dans le sens où la famille d’accueil va avoir un pouvoir sur lui et être un modèle, ainsi que l’équipe. Comme il y a toujours des espaces de parole pour arriver à jouer de tout ça et faire la part des choses, il a un espace de création où il peut créer ce qui est plus difficile face à un élément prescripteur seul et donc cette fragmentation, si elle est bien gérée, c’est ce qui fait que le patient revient au premier plan.
  • Finalement, c’est un espace vide qui est offert et c’est ça qui est à ouvrir du côté de la famille d’accueil : qu’on n’ait pas des réponses toutes faites, qu’on ne soit pas là pour être des thérapeutes de la personne accueillie. On est plutôt là pour lui offrir quelque chose et pour travailler sur ce cadre d’accueil afin qu’il ne vienne pas faire obstacle à tout ce qu’il met en place pour essayer de s’en sortir, de se défendre par rapport à la vie qui le malmène.
  • C’est une peu le pari sans naïveté que la production de relations humaines dans un contexte d’accueil familial avec les trois acteurs que sont la famille, l’accueilli et les travailleurs sociaux va provoquer, dans la confrontation, des retours en arrière, une construction, des projections dans l’avenir dont les gens vont pouvoir se saisir pour construire un parcours. D’ailleurs, un des critères majeur du recrutement des familles est la capacité de produire de la relation simple, chaleureuse…
  • Casser la chronicisation, c’est aussi notre rôle en permanence. On le fait par des scansions régulières où, tous les ans au moins, on pose la question tant au patient qu’à la famille d’accueil : “qu’est ce qu’on fait ? – est-ce qu’on continue ?”, même si tout va bien, d’autant plus si tout va bien.
  • S’il n’y a pas de satisfaction pour la famille d’accueil et pour l’accueilli à être ensemble, ça ne fonctionne pas. On a été amené à faire des modifications car on sentait que ni l’un ni l’autre n’avait d’intérêt ni d’envie de continuer à vivre dans le même espace. Ça démontre que c’est bien l’adéquation entre la famille d’accueil et la personne accueillie qui va amener des effets positifs.
  • Ce sont des personnes qui n’ont jamais pu trouver une place stable dans la vie, qui n’ont jamais trouvé à se situer. La famille d’accueil, c’est l’occasion de répondre à cette question fondamentale à condition que l’on œuvre pour soutenir ça. C’est à nous de démêler tout ce qui est en jeu dans leur existence et de trouver un certain nombre de repères quant à leur manière d’être par rapport aux autres, au langage, aux différents objets de la vie.
  • Il y a un processus qui nous échappe au départ, sur lequel on peut travailler après avec la famille d’accueil. Après, on sert d’étayage, que ce soit pour le patient ou la famille d’accueil. Mais il y a un accrochage entre l’accueilli et la famille d’accueil qu’on n’explique pas toujours.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut